Conférence internationale sur l’éducation des filles et la formation des femmes – OIF (N’Djamena, 18-19 juin)
Atelier n° 6
« Mentorat, leadership et modèles identificatoires »
Résumé de quelques idées
C’est avec beaucoup d’espoir que je participe à cette rencontre de haut niveau sur un sujet majeur de notre temps, celui de l’accès à l’éducation, notamment de l’éducation des filles dans un contexte africain on ne peut plus complexe, en proie à des problématiques difficiles, multiples, qui concurrencent ce qui nous réunit aujourd’hui. Ceci n’en fait pas un enjeu moins important, au contraire, car c’est à travers le traitement que réservons à nos petites filles que nous mesurons la qualité du vivre ensemble d’une société donnée. Nos filles ont-elles accès à l’éducation ? Et à quelle éducation ? Comment sont-elles traitées à l’école ? Arrivent-elles à se départir des pesanteurs qui servent de plafonds de verre culturels, politiques et sociaux ? Des questions légitimes que nous autres activistes et officiels, soucieux de leur bien-être ainsi que leur épanouissement, nous nous posons à l’orée de ce siècle en mal d’égalité et en quête des objectifs de développement durable.
L’éducation des filles en Afrique francophone semble dans une sorte de nœud gordien, entre des contradictions, des zones grises où le langage juridique soucieux de l’égalité, le langage tendant vers la redistribution de bien-être, donc d’équité ainsi que le langage économico-financier, tendant indéfiniment vers le développement inclusif, peinent à s’imposer comme les moyens par excellence de la prise en charge de nos petites filles qui ont droit d’accéder au savoir libérateur, fait de compétences et de valeurs communes leur permettant leur pleine contribution à la marche de notre société.
Comment donc vous parler des conditions difficiles dans lesquelles les petites filles évoluent dans notre société africaine, où l’impunité et la banalisation de la violence basées sur le genre semblent être un fait acquis ? Nous en parlons, de façon sporadique par voie de média ou de campagnes dont la dernière de 1 Billion Rising que j’ai présidée à Dakar. Nous allons vers les tribunaux sans forcément avoir gain de cause tant l’architecture de protection du corps et de l’intégrité morale des femmes et des petites filles n’est pas à l’ordre du jour. Mais cela ne saurait suffire devant la situation actuelle. Parce que pour moi, le problème de fond de l’éducation des filles est la nature de notre configuration sociale, culturelle, économique et politique. Nous devons chercher les freins de nos nombreuses démarches individuelles et collectives, dans nos familles traditionnelles, dans notre école républicaine, dans nos milieux de travail, dans nos systèmes politiques actuels, si nous voulons espérer des évolutions plus structurelles. Je voudrais vous dire qu’après 40 ans d’activisme sur la question de l’égalité et de l’autonomisation, le temps me manque, l’énergie et la fougue des jeunes âges n’y est plus et j’ai peur qu’on ne recule dans un combat aussi important que l’éducation des filles.
Et s’il est facile de désespérer devant l’ampleur du travail, du chantier ; il faut dire que c’est notre obligation de continuer la lutte avec les moyens du bord. Nous n’avons pas le droit de baisser les bras comme l’avait remarqué le Dr Denis Mukwege lors de son discours de réception du Nobel de la paix, en prenant l’exemple émouvant de Sarah victime de viol dans le contexte politique des Grands Lacs, où le viol est une arme de guerre.
L’histoire de Panzi du Dr Mukwege est le degré zéro des expériences réussies. Mais il en existe plusieurs de bonnes pratiques sur lesquelles on peut trouver ensemble des voies de salut pour nos filles qui ont plus que jamais besoin d’être prêtes pour le monde dans lequel elles devront grandir et s’assumer. Je pense particulièrement aux bonnes pratiques dans la commune de Zé, département Atlantique au Bénin, pour maintenir les filles à l’école dans les 20 villages qui la composent, qui font échos à la démarche de l’association « Chiama » basée au Sénégal encadrant les jeunes filles défavorisées depuis 2003en les mettant dans un système de parrainage pour leur suivi scolaire. Au moment où je vous parle, plus de la moitié des filles ont pu avoir une licence, un Master malgré les conditions sociales difficiles de certaines.
Les bonnes pratiques pour amener les filles à l’école sont nombreuses, de la pédagogie intégrant le genre aux « STM » (Sciences Techniques et Mathématiques) en passant par le projet d’appui à la gouvernance de l’éducation, de même que le projet « scolfilles » au Togo. Notre champ est vaste et pour reproduire ces bonnes pratiques dans la durée, cela suppose de maitrise les différents contextes d’innovation. Nous devons être informés et rester sensibles aux dynamiques sociales en cours dans les espaces ciblés pour être plus efficaces et efficients.
Il nous faut aller au-delà de ce qu’on fait ; plaidoyer, sensibilisation des acteurs de l’éducation, le rabâchement des principes généraux et surtout utiliser notre juridisme discursif pour intégrer les réalités socio-historiques des jeunes filles dans notre démarche. Je pense que les « Master Class » sur l’impact de l’intégration de la dimension genre dans les méthodes pédagogiques et les approches curriculaires francophones sont décisifs, parce qu’il s’agit de doter les enseignants, enseignantes ainsi que les apprenants des outils techniques et des valeurs humaines et communautaires leur permettant d’aller au bout de leur scolarité et servir de rôle model des générations suivantes qui ont besoin de se référer à des personnes ayant réussi leur scolarité, des personnes qui surmonté les obstacles -plafonds de verre érigés par la société.
Pr Ndioro Ndiaye
Ancien ministre
Coordonnatrice du RF-EFH