Sommaire
thème: « Femmes francophones, actrices de développement »
Dakar, 27 novembre 2014 Rapport de Synthèse
Introduction
En prélude au XVe Sommet de la Francophonie, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec ont organisé le 27 novembre 2014, à Dakar, une table ronde sur le thème « Comment favoriser la contribution politique, économique et sociale des femmes à l’avenir de la francophonie ? »
La table ronde qui avait pour objectif de discuter de la contribution positive des femmes au développement s’est tenue en présence d’experts et d’expertes sur les questions d’autonomisation de la femme, dont la ministre des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, la ministre représentant le Président du Sénégal auprès de la Francophonie, la ministre Dioro Ndiaye, Coordinatrice du Réseau francophone pour l’égalité femmes et hommes, et le Représentant du bureau régional du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour l’Afrique de l’Ouest, ainsi qu’environ 60 participants et participantes venus de plusieurs pays de la sous-région, y compris le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sénégal.
La table ronde s’est ouverte sur une projection vidéo intitulée « femmes francophones en action » mettant en avant le travail, les expériences, et aussi les difficultés auxquels sont confrontées trois actrices de développement. Il s’agit notamment de l’Honorable Elene Tine dans ses fonctions de parlementaire, de Mme Tinè Ndoye dans son rôle de femme leader du milieu rural et aussi de Maître Ndeye Fatou Touré en tant que avocate qui défend la cause des femmes.
Les débats, animés par Mme Dioro Ndiaye, ont essentiellement porté sur les sous-thèmes liés à l’autonomisation économique de la femme, y compris des femmes rurales, présentés par Mmes Isabelle Dieng, Tinè Ndoye et Safiatou Dramé Dieng; celui relatif à la participation politique et démocratique des femmes présenté par Mme Elene Tine, et le rôle de la société civile dans la lutte contre les violences faites aux femmes présenté par Mme Safiatou Sy.
Les échanges et recommandations invitent entre autres à revoir les textes législatifs en matière de propriété foncière, à renforcer les mécanismes de coopération entre les organes législatifs et les structures non étatiques de suivi de la mise en œuvre de politiques publiques, à mettre en place des mesures visant à faciliter l’accès des femmes au crédit à des taux plus avantageux et enfin renforcer l’éducation des femmes et des filles comme moyen de lutte contre l’ignorance et la violence.
ALLOCUTIONS
Mme Christine St-Pierre
Ministre des Relations internationales et de la Francophonie du Québec
Dans son allocution, Mme St-Pierre a rappelé que le gouvernement du Québec accorde une grande importance à la condition des femmes, à la fois au Québec et à l’extérieur et qu’il en a fait une priorité de ses politiques. Réduire les inégalités de genre est un des moyens les plus efficaces de lutter contre la pauvreté et de contribuer à un développement durable et équitable. Au Québec, quelque 60 % des diplômes universitaires sont désormais décernés à des femmes et le salaire horaire de ces dernières équivaut à près de 90 % de celui des hommes. Selon Mme St-Pierre, ces avancées s’expliquent par une mobilisation constante depuis des décennies. La ministre a par ailleurs rappelé que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) n’a pas ménagé ses efforts, notamment avec la création du Réseau francophone pour l’égalité femme-homme (RF-EFH), coordonné par Mme Dioro Ndiaye, et la signature d’un accord-cadre entre ONU-Femmes et l’OIF. En prévision du Sommet de Dakar, le Québec s’est concentré sur certains enjeux dont la lutte aux violences faites aux femmes, l’autonomisation économique des femmes, l’accès égalitaire aux leviers de pouvoir. La ministre a d’ailleurs salué le thème du Sommet. Évoquant le Plan d’action francophone sur les violences faites aux femmes et aux filles, la ministre a signalé que le principe de la « tolérance zéro » y a été inscrit. Le Québec a insisté pour que la Stratégie économique pour la Francophonie fasse de l’autonomie économique des femmes une priorité. À cet égard, l’éducation des filles et des femmes est un levier déterminant.
- Andrea Ori
Représentant régional du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH)
- Andréa Ori a évoqué le récent rapport mondial sur la parité de 2014 qui fait état d’une amélioration de l’égalité en faveur des femmes sur le lieu de travail, et constate des inégalités de genre persistantes en matière de participation et de perspectives économiques à hauteur de 60 % ; soit une croissance de seulement 4 % durant la dernière décennie, qui si elle se maintenait, demanderait au moins 81 années pour combler l’inégalité actuelle.
- Ori a ajouté que le thème choisi pour la table ronde, « Comment favoriser la contribution politique, économique et sociale des femmes à l’avenir de la francophonie» mettait en exergue non seulement la participation des femmes, mais aussi, et surtout leur rôle en tant qu’actrices vitales de changement et de transformation sociale des écarts de parité observés. L’égalité des droits entre les femmes et les hommes étant une thématique prioritaire dans le mandat du HCDH, M. Ori a terminé en affirmant qu’en tant que droit fondamental pour plus de la moitié de la population mondiale, la participation des femmes au développement devait être promue et protégée, afin que celles-ci puissent contribuer, bénéficier et accéder aux ressources et aux chances offertes dans les domaines économique, politique et social, au même titre que les hommes.
Mme Penda Mbow
Ministre, Représentante du président du Sénégal auprès de la Francophonie
Dans son allocution d’ouverture, Mme Penda Mbow a rappelé que dans beaucoup de pays africains, il existait déjà une chance extraordinaire pour les femmes avec des traditions matriarcales, des systèmes matrilinéaires et une place exceptionnelle de la femme et la mère dans la société. Et que, même si le statut de la femme avait changé durant les dernières décennies, la femme a gardé une forte position dans la société.
Par un rappel historique, elle a évoqué l’évolution du statut de la femme au Sénégal, partant des années d’indépendance en 1960, à nos jours. Le soutien apporté selon elle par le Président du Sénégal Léopold Sédar Senghor a fortement influencé les milieux intellectuels et le débat sur la démocratie et le développement.
Elle a finalement conclu sur une note d’espoir en indiquant son souhait que la Déclaration de Dakar de 2014 influence fortement et positivement la position des femmes, tout en prévoyant et insistant sur une mise en œuvre effective de plans stratégiques existant pour un impact réel.
INTERVENTION / PANEL
Mme Dioro Ndiaye
Coordinatrice du Réseau francophone pour l’égalité femmes-hommes
Dans son intervention en tant que animatrice du panel, Mme Ndiaye a indiqué que les violences faites aux femmes et aux filles constituaient une préoccupation majeure dans l’espace francophone, surtout face aux pesanteurs culturelles persistantes qui font des femmes des citoyennes de second plan dans la contribution des femmes au développement. Elle a dans ce sens plaidé pour l’engagement de tous, aussi bien des gouvernants que de la société civile, en vue de trouver des solutions appropriées, au-delà des mécanismes de prise en charge.
Mme Fatimata Sy
Membre du Conseil d‘administration de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO)
Mme Sy a focalisé sa présentation sur le partenariat entre la RADDHO et l’État sénégalais comme élément illustrant le rôle de la société civile dans la lutte contre les violences faites aux femmes, avec à titre d’exemple la mise en œuvre d’un programme de formation avec plus de 3500 éducateurs et éducatrices pour les droits de l’homme ; ainsi que différents projets d’autonomisation des femmes et des filles, y compris à travers la facilitation de l’accès à l’état civil pour tous et la promotion des droits économiques sociaux et culturels. Elle a ajouté que ce travail se fait à travers des synergies et l’appui aux réseaux existants au niveau local.
Mme Isabellle Dieng
Rapporteure générale du Conseil économique, social et environnemental
Durant sa 2e session ordinaire, le Conseil économique, social et environnemental, a adopté un rapport 2013 qui fait état, selon Mme Dieng, de la situation économique des femmes. Le rapport montre que les femmes représentent 65 % de la population active, donc une source énorme pour le développement du pays, d’où l’importance de la valorisation de leur travail. Selon Mme Dieng, 83 % de ces femmes actives interviennent dans les secteurs domestique et informel. Ce qui, malgré leur participation considérable dans l’économie, entrave leur pouvoir économique; car la plupart sont engagées dans des activités économiques non régulières et dans le petit commerce.
Mme Dieng, a indiqué qu’il existe un cadre légal favorable à l’autonomisation économique des femmes au Sénégal avec plusieurs lois qui ont été adoptées ou adaptées récemment (code de la famille, code du travail, loi de la parité, etc.) malgré cette bonne base, la participation des femmes au niveau économique et politique demeure néanmoins assez faible.
Elle a dans ce sens recommandé que la reforme de la Stratégie nationale sur l’égalité et l’équité de genre dans son arrimage avec le Plan Sénégal Émergent (PSE) intègre une croissance inclusive, la bonne gouvernance, les programmes axés sur l’agriculture, avec des indicateurs de genre pour mesurer l’effectivité de l’égalité femmes-hommes. Mme Dieng a par ailleurs indiqué que la facilitation de l’accès au crédit pour les femmes devrait passer par un plafonnement des taux d’intérêt à 5 %. Car, les taux de crédit tels qu’actuellement pratiqués obligent les femmes à prendre un deuxième crédit pour financer le premier, accentuant ainsi la pauvreté et les écarts de parité.
Mme Safiatou Dramé Dieng
Membre du Groupe d’initiatives femmes (GIF)
Dans son intervention relative à l’autonomisation économique des femmes, Mme Dramé Dieng s’est appesantie sur le rôle du GIF dans l’intégration et le suivi du genre dans les politiques publiques et les documents stratégiques et réduction de la pauvreté et de croissance du Sénégal. Tout en rappelant que le développement du pays est tributaire de l’investissement dans l’autonomisation économique des femmes, elle a plaidé pour une intégration/identification des indicateurs sensibles au genre dans le PSE.
Mme Elène Tine
Député Assemblée nationale
Mme Tine a fait référence aux contextes de crise qui exacerbent les inégalités de genre, lesquels en retour amènent à adopter des reformes qui permettent de grandes avancées, y compris en matière de participation de la femme. Au Sénégal, le PSE devrait selon Mme Tine prendre en compte les préoccupations liées à l’inégalité des genres. Mme Tine à également cité l’adoption de la loi de 2011 sur la parité du Sénégal comme un bon exemple de renforcement de la participation des femmes; même si elle a déploré les difficultés liées à son application effective au niveau local.
Selon elle, l’enjeu est dès lors, au-delà de la participation numérique, de concevoir une participation qualitative des femmes dans les instances électives, qui permette à ces dernières d’influencer positivement sur les changements attendus en faveur des groupes vulnérables, y compris à travers l’élaboration du budget national.
À l’instar des autres oratrices, Mme Tine a souligné l’importance de la mise en œuvre des engagements internationaux du Sénégal, et a précisé que le parlement a un rôle important à jouer dans ce sens en collaborant avec des organisations de la société civile (OSC).
À cet effet, elle a plaidé et recommandé la mise en place d’un cadre de collaboration formel entre le parlement et les OSC en vue de renforcer les mécanismes de reddition de comptes, et d’intégration du genre dans les lois et politiques et le budget.
Mme Tinè Ndoye
Présidente du Réseau national des femmes rurales du Sénégal
Intervenant sur la question de l’autonomisation des femmes rurales, Mme Ndoye a indiqué que le Réseau national des femmes rurales du Sénégal, dont elle est la présidente, compte près de 50 000 associations membres. Présentant brièvement les 3 axes d’intervention du réseau, soit (i) politique et défense des intérêts; (ii) renforcement des capacités; et (iii) économique, elle a admis que les principaux défis pour l’autonomisation des femmes rurales sont l’accès à la « bonne » terre, la disponibilité des semences et des financements, ainsi que les moyens de sortir les femmes actives de l’enclavement.
Elle a également souligné l’importance de renforcer la population à la base et de valoriser le savoir local, au regard de leur rôle important de protection et de préservation de la nature pour les générations futures. Mme Ndoye a donc plaidé pour un plus grand engagement du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme aux côtés des femmes rurales afin de faciliter l’accès en droit et en fait des femmes à la terre dans le cadre de la réforme foncière actuellement en cours.
DISCUSSIONS / ÉCHANGES
Les thèmes soulevés durant la session consacrée aux discussions ont essentiellement porté sur les sujets tels l’importance de l’éducation vis-à-vis de l’autonomisation des femmes, l’accès des femmes à la terre, surtout une terre de qualité et autres intrants utiles à la production agricole en lien avec l’accès au crédit à des taux avantageux et la nécessité de renforcer les mécanismes de coopération d’information et d’échanges entre les milieux académiques, scientifiques et de production agricole.
Il a ainsi été admis que l’éducation en tant que prérequis à l’autonomisation et à la participation politique et économique des femmes devrait être encouragée, y compris au niveau local et dans les langues locales. Les participants se sont aussi accordés sur l’idée que des efforts d’éducation et d’alphabétisation importants restent à faire, non seulement dans l’intérêt pour les femmes d’assurer une autonomie économique, mais aussi, et surtout pour leur garantir une protection contre toute forme de violence.
Les débats se sont attardés sur la nécessité pour les femmes intervenant en milieu rural d’avoir accès à une terre de qualité et à la propriété foncière, comme condition indispensable pour leur assurer un revenu suffisant; y compris par l’accès au crédit à des conditions et taux favorables.
Les échanges ont recommandé entre autres une plus grande interaction entre les chercheurs et les acteurs sur le terrain. Il a été admis la nécessité de comprendre les résultats de la recherche de juristes et scientifiques pour mettre en œuvre des programmes durables et efficients sur le terrain, de même les expériences du terrain devraient pouvoir influencer la recherche scientifique.
Les participants ont enfin admis que l’agriculture était l’une des activités les plus économiquement rentables pour les femmes vivant en milieu rural, il a donc semblé important aux intervenants d’apporter un plus grand soutien aux groupes d’initiatives avec des crédits à des taux d’intérêt favorables, avec l’accès à la propriété de bonnes terres comme donnée fondamentale.
Conclusions et recommandations :
Les principales recommandations demandent entre :
I.Du point de vue législatif, (i) l’appui et la poursuite du plaidoyer en vue de l’adoption d’un texte juridique au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) afin de garantir l’égal accès pour les femmes à la terre et à la propriété foncière.
(ii) La poursuite de la réforme foncière entamée au Sénégal en vue de s’assurer de l’intégration de l’égal accès des femmes à la terre, à travers ses dispositions ; ainsi que son articulation avec les politiques stratégiques de développement, tel le PSE.
(iii) La réforme de la Stratégie nationale du Sénégal sur l’égalité et l’équité de genre dans son arrimage avec le PSE en vue d’une croissance inclusive, la bonne gouvernance, les programmes axés sur l’agriculture, avec des indicateurs de genre pour mesurer l’effectivité de l’égalité femmes-hommes.
II.En vue de faciliter et coordonner la mise en œuvre effective de ces mesures législatives (iv), la mise en place d’un cadre de collaboration formel entre le parlement et les OSC afin de renforcer les mécanismes de reddition de comptes, et d’intégration du genre dans les lois et politiques et le budget; et assurer l’évaluation et le suivi de l’impact des mesures législatives au plan local.
(v) La mise en place d’une plateforme entre les réseaux intervenants en matière d’autonomisation de la femme, en vue de faciliter la collaboration entre les centres de recherche, les juristes, les économistes et les femmes actives en milieu rural. L’idée étant de s’assurer que les résultats des études préparées dans les milieux académiques et juridiques influencent plus les mesures politiques et la pratique sur le terrain.
III.(vi) Définir des mesures de discrimination positive pour les femmes en vue d’une plus grande participation politique, économique et sociale. Par exemple, plaider auprès des institutions financières et de la banque centrale afin de faciliter l’octroi de crédits à des taux plus avantageux, de 2-5 %.
IV(vi) Renforcer les mesures éducatives, par l’intégration des enseignements en langues locales, ainsi que l’intégration des droits de l’homme dans les curricula scolaires; et mettre en place un réseau d’éducation en faveur des femmes et des filles.