Déclaration des naissances : préalable indispensable à l’autonomisation des femmes
« D’ici à 2030, garantir à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement des naissances » Programme de Développement Durable à l’horizon 2030, art. 16-9
Le Sénégal, à l’instar de nombreux pays, affirme dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001 :
« son adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité Africaine, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, la Convention relative aux Droits de l’ Enfant du 20 novembre 1989 et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981 ; …… »
Les instruments internationaux et régionaux, cités dans ce Préambule, sont devenus des éléments de l’ordonnancement juridique interne du Sénégal. Ils figurent au rang de normes constitutionnelles, ayant ainsi, en vertu du principe de la hiérarchie des normes, une force obligatoire équivalente à celle de la charte fondamentale.
En outre, L’article 98 de la Constitution qui traite des traités et Conventions internationaux dispose :
« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »
Ces différents instruments, pour certaines de leurs dispositions sont d’application immédiate, sous réserve, pour d’autres, de la mise en place de certaines mesures ou moyens appropriés nécessaires à leur application. Sur ce point, il convient de mentionner que les nombreux plaidoyers des organisations de la société civile (OSC) œuvrant pour le respect de l’Etat de droit et de la hiérarchie des normes, aux fins de sensibiliser les autorités politiques sur la nécessité d’harmoniser ces instruments internationaux et régionaux avec les lois nationales, se sont révélés, à ce jour, peu efficaces.
Pourtant, ces Conventions, Traités et Déclarations, signés et ratifiés par les Etats permettent aux hommes, aux femmes et aux enfants de jouir de leur droits fondamentaux. Pour ce faire, il est fondamental que les Etats signataires, respectent leurs engagements au niveau international et régional.
Le non respect de leurs engagements par les Etats doit être dénoncé avec véhémence. Leur redevabilité doit être de plus en plus exigée, pour l’atteinte des ODD et l’instauration de l’égalité Femmes-Hommes.
Les mêmes problèmes seront toujours évoqués si les Etats continuent à ratifier (pour la plupart, sans réserve) les instruments précités sans les appliquer ou prendre les mesures appropriées pour leur mise en œuvre.
Un rapide survol de la situation des droits humains montre les conséquences fâcheuses de la non redevabilité des Etats concernant l’application des instruments internationaux et régionaux, particulièrement, la CEDEF, Le Protocole de Maputo, la CDE. Cette redevabilité des Etats doit être effective s’agissant de :
- la déclaration des naissances
Ce droit figure dans les instrument internationaux et régionaux, entre autres, au niveau des articles 7 de la Convention des Droits de l’Enfant et 6 de la Charte Africaine des Droits et du Bien être de l’Enfant.
Après le droit à la vie, tout enfant a le droit d’être enregistré à la naissance. L’enregistrement lui permet d’avoir une identité qui regroupe le nom, le prénom, la date de naissance, le sexe et la nationalité. Grâce à ces informations, l’enfant sera titulaire de droits et obligations spécifiques.
Il s’agit d’un droit fondamental et universel, le premier qui permet d’être sujet de droit et de pouvoir jouir de tous se droits fondamentaux.
Les Etats parties doivent veiller à mettre ces droits en oeuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride.
Le non respect par les Etats de leurs engagements dans ce domaine, font que selon l’UNICEF, 230 millions d’enfants de moins de 5 ans ne sont pas déclarés à la naissance dans le monde aujourd’hui. En 2012, 54 millions d’enfants n’ont pas été déclarés, en Asie du Sud, la proportion atteint 64 pour cent, en Afrique subsaharienne 62 pour cent, tandis qu’en Afghanistan et en Ethiopie, à peine 6 ou 7 pour cent des enfants sont enregistrés.
Il convient de souligner qu’en raison du lien qui existe entre les mariages d’enfants et l’enregistrement des naissances, dans les pays où les taux d’enregistrement des naissances sont faibles, il est difficile, voire impossible, de connaître l’âge des enfants qui sont mariés. Cela rend encore plus complexe la mesure du nombre de mariages avant 18 ans, déjà sous-estimé du fait de leur caractère illégal dans de nombreux pays.
- l’absence de dispositions définissant et sanctionnant les discriminations à l’égard des femmes :
L’article 1er de la CEDEF dispose :
« Aux fins de la présente Convention, l’expression « discrimination à l’égard des femmes » vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. »
Il faut déplorer, dans la législation de nombreux Etats parties :
- L’absence de dispositions définissant et sanctionnant ces discriminations qui ne sont pas considérées comme des infractions pénales. Elles sont donc commises tous les jours en toute impunité. Cette absence de définition au plan civil rend aussi difficile son établissement en vue d’engager la responsabilité civile de ses auteurs.
- l’inexistence d’études et de recherches montrant les stéréotypes, rôles et pratiques culturelles et traditionnelles néfastes fondés sur l’idée d’infériorité et de supériorité de l’un ou de l’autre sexe,
- le manque ou l’insuffisance de véritables politiques d’éducation et de communication adoptées et appliquées, en vue de parvenir à l’élimination de tous ces stéréotypes, rôles et pratiques en défaveur des femmes.
- La prise de mesures temporaires
Les articles 4 de la CEDEF et l’article 9 alinéa 1 du Protocole de Maputo, invitent les Etats parties à prendre des mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes. Ces mesures ne sont pas considérées comme un acte de discrimination tel qu’il est défini dans la présente Convention, mais ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de normes inégales ou distinctes; Elles doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints.
Ces actions positives spécifiques ont pour objectif de promouvoir la gouvernance participative et la participation paritaire des femmes dans la vie politique de leurs pays, à travers une action affirmative et une législation nationale et d’autres mesures appropriées.
Malheureusement de nombreux Etats ne prennent pas ces mesures, ou une fois prises, ne veillent pas à leur stricte application d’où les inégalités flagrantes dans la situation des femmes et des hommes dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale.
- Discriminations au niveau de l’accès à l’éducation:
Les articles 28 de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant (CDE), 11 de la Charte africaine pour le bien être de l’enfant africain alinéas 1, 2, 3, 10 de la CEDEF, précisent que les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation,….» Ce droit à l’éducation, en vertu de l’article 23 de la Convention internationale des droits de l’enfant, s’étend à tous les enfants y compris les enfants handicapés.
Les Etats parties ont donc l’obligation :
- de rendre l’enseignement primaire obligatoire et gratuit,
- d’encourager l’organisation de différentes formes d’enseignements secondaires accessibles à tout enfant,
- d’assurer à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun.
L’analyse des politiques et stratégies nationales de développement du secteur éducatif, élaborée dans de nombreux Etats, révèlent, compte tenu du contexte social, qu’elles ne suffisent pas, à elles seules, à atteindre l’équité genre dans l’accès, le maintien et la réussite des filles aux différents niveaux de l’éducation
L’éducation des filles se heurte encore à l’inégalité liée au genre, dans des sociétés qui assignent des rôles sociaux différenciés aux femmes et aux hommes. Les femmes sont confrontées aux préjugés qui les empêchent d’accéder aux mêmes opportunités que les hommes.
L’une des pratiques culturelles, véritable obstacle à la scolarisation des filles et à leur maintien à l’école est celle des mariages précoces. Les Etats parties ne respectant pas leurs obligations en la matière, le mariage précoce a été identifié à plusieurs reprises comme une des principales causes du décrochage scolaire des filles: Cette pratique est répandue dans la plupart des régions d’Afrique avec des taux variant entre 60 % et 32 % de filles mariées avant l’âge de 18 ans.
Tant que ces pratiques continueront, les problèmes subsisteront dans ce domaine.
- L’existence de pratiques qui empêchent l’accès des femmes et des filles au progrès et au développement:
Les articles 5 de la CEDEF, 2 alinéa 2 du Protocole de Maputo, 21.1 de la Chartre africaine des droits et du bien-être de l’enfant, demandent aux Etats parties de prendre toutes les
mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes;
Ces pratiques sont incompatibles avec une égalité de jouissance des droits et avec le respect des droits et de la dignité des femmes, car elles favorisent les violences et mauvais traitements faites aux femmes et aux filles tels que : le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution d’autrui, l’excision, les mariages forcés ou précoces, les viols et violences sexuelles.
Le non respect des Etats de leurs engagements dans ce domaine contribue fortement à la recrudescence des violences faites aux femmes par le nombre important des viols et violences sexuelles, la persistance de la traite des femmes et des enfants, des mariages et des grossesses précoces. Ii s’agit de véritables obstacles empêchant les femmes, à égalité avec les hommes, de jouir de leurs droits fondamentaux.
- Discriminations concernant le statut juridique des femmes
Les instruments internationaux et régionaux ratifiés par les Etats, accordent une place particulièrement importante au statut juridique des femmes.
Les articles 9 du Protocole de Maputo et l’article 7 de la CEDEF, exigent des Etats parties de prendre toutes les mesures appropriées et des actions spécifiques positives, pour éliminer toute discrimination à l’égard des femmes dans la vie politique et publique du pays et, en particulier, en leur assurant, dans des conditions d’égalité avec les hommes, le droit :
- de voter à toutes les élections et dans tous les référendums publics et être éligibles à tous les organismes publiquement élus;
- de prendre part à l’élaboration de la politique de l’Etat et à son exécution,
- d’occuper des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement;
- de participer aux organisations et associations non gouvernementales s’occupant de la vie publique et politique du pays.
Les États doivent aussi assurer une représentation et une participation accrues, significatives et efficaces des femmes à tous les niveaux de la prise des décisions.
Malheureusement, il résulte du non respect de ces engagements par les Etats parties :
- une forte discrimination dans l’exercice du pouvoir politique et économique qui se manifeste par l’absence ou la sous représentation des femmes, au niveau des instances décisionnelles qu’elles soient nationales ou internationales,
- la persistance de discrimination quant à l’accès à l’emploi au niveau du Code de la Sécurité sociale et l’entrée dans la fonction publique,
Il faut aussi souligner que le harcèlement sexuel est l’une des principales causes de perte d’emploi pour les femmes et poser le problème du travail ménager non rémunéré des femmes.
- l’égalité d’accès aux soins de santé
Les articles 14 du Protocole de Maputo relatif au Droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction et l’article 12 de la CEDEF invitent les Etats parties à :
- assurer le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive ;
- prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les moyens d’accéder aux services médicaux, y compris ceux qui concernent la planification de la famille.
- fournir aux femmes pendant la grossesse, pendant l’accouchement et après l’accouchement, des services appropriés et, au besoin, gratuits, ainsi qu’une nutrition adéquate pendant la grossesse et l’allaitement.
- assurer l’accès des femmes aux services de santé adéquats, à des coûts abordables et à des distances raisonnables, y compris les programmes d’information, d’éducation et de communication pour les femmes, en particulier celles vivant en milieu rural ;
- protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.
Dans de nombreux Etats, ces dispositions des instruments internationaux et régionaux ne sont pas suivies. L’absence de redevabilité des Etats à ce niveau entraine fait obstacle à :
- la baisse de la mortalité infantile et maternelle, des avortements clandestins, des infanticides,
- l’atteinte de résultats plus importants dans la lutte contre le VIH/SIDA.
- l’égalité des droits au sein de la famille
Les articles 6, 7 du Protocole de Maputo et 16 de la CEDEF demandent aux Etats parties :
- de veiller à ce que l’homme et la femme jouissent de droits égaux et soient considérés comme des partenaires égaux dans le mariage,
- d’adopter les mesures législatives appropriées pour garantir qu’aucun mariage n’est conclu sans le plein et libre consentement des deux; l’âge minimum de mariage pour la fille étant fixé à 18 ans ;
- d’adopter les dispositions législatives appropriées pour que les hommes et les femmes jouissent des mêmes droits en cas de séparation de corps, de divorce et d’annulation du mariage.
Malheureusement, dans de nombreux pays et particulièrement en Afrique, l’âge du mariage, en droit, reste fixé à 16 ans, en violation des dispositions des différents instruments internationaux et régionaux. En outre, même s’il existe, dans la loi nationale, une conformité avec l’âge légal fixé par les Conventions et autres instruments, les mariages d’enfants ou mariages forcés continuent d’être organisés.
Ce problème ne saurait être négligé. Ce phénomène des mariages précoces a eu des conséquences significatives sur l’atteinte de 6 des 8 Objectifs du Millénaire, tels que : l’éradication de l’extrême pauvreté et la faim; l’éducation primaire pour tous; la promotion de l’égalité de genre et autonomisation des femmes, la réduction de la mortalité infantile ; l’amélioration de la santé maternelle ; la lutte contre le VIH/Sida, le paludisme et autres maladies.
Dans de nombreux pays, il existe encore des lois nationales qui contiennent, à ce jour, des dispositions juridiques discriminatoires à l’encontre des femmes et des filles, tels que :
- l’âge minimum du mariage (16 ans pour la fille et à 18 ans pour le garçon,
- le choix de la résidence du ménage qui appartient exclusivement au mari,
- l’exercice de la puissance paternelle par le père en sa qualité de chef de famille
- l’existence de la « puissance maritale » sur la femme,
- l’établissement de la filiation maternelle qui est autorisée alors que l’action en revendication de paternité est interdite, même en cas de viol suivi de grossesse non désirée (article 196 CF) ;
- l’inégalité de droits en matière de successions musulmanes L’absence de sanction pénale prévue pour les mariages précoces, sauf le cas où le mari consomme le mariage sur une mineure de moins de treize ans.
Il convient de noter que le mariage précoce n’est sanctionné qu’au civil par l’annulation du mariage alors que les dispositions de a CEDEF, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de la Déclaration de Bamako du 29 Mars de 2001 et du Protocole de Maputo, obligent les Etats à :
- accorder, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme :
- le même droit de contracter un mariage pour les femmes et les hommes,
- le même droit de choisir librement son conjoint et de ne contracter un mariage que de son libre et plein consentement.
- déclarer que les fiançailles et les mariages d’enfants n’ont pas d’effets juridiques,
- prendre toutes les mesures nécessaires, y compris des dispositions législatives, afin de fixer un âge minimal pour le mariage.
- Interdire les mariages et les fiançailles d’enfants ;
- prendre des mesures concrètes, y compris des dispositions législatives, pour fixer à 18 ans l’âge minimal du mariage.
- exiger que le consentement, des futurs époux, doit être manifesté librement. Dans le cas contraire, déclarer que le mariage est nul et que tout acte sexuel sera considéré comme violence sexuelle ».
- veiller à ce que l’homme et la femme jouissent de droits égaux et soient considérés comme des partenaires égaux dans le mariage. A cet égard, les États adoptent les mesures législatives appropriées pour garantir qu’aucun mariage ne sera conclu sans le plein et libre consentement des deux époux,
La tolérance des mariages précoces ou mariages forcés est inadmissible car ces mariages ont des conséquences néfastes, des répercussions sur l’équilibre personnel des femmes et des filles, mais aussi sur le développement de leurs capacités et leur indépendance. Ils compromettent aussi leur accès à l’emploi et font obstacle à leur autonomisation.
Il est important et urgent d’obliger les représentants des Etats à mettre leurs actes en conformité avec a leurs engagements, par la mise en place d’un mécanisme judiciaire permettant de contrôler les dispositions et pratiques constitutionnelles des Etats par rapport aux normes internationales en matière de droits de l’homme et de libertés démocratiques. Cela irait dans le sens des nombreuses Constitutions qui affirment la supériorité du droit international sur le droit interne.
Les dispositions constitutionnelles ou législatives nationales des Etats qui ont adhéré à des conventions internationales et régionales, doivent entériner les droits qui y sont reconnus, et non y faire obstacle
Mme Dior Fall SOW, Magistrate
Présidente d’honneur de l’Association des juristes Sénégalaises